Une première proposition de définition

« La médiation numérique consiste à accompagner des publics variés vers l’autonomie, dans les usages quotidiens des technologies, services et médias numériques ».

Des publics variés … Oui, mais priorité aux publics éloignés

Certains publics sont plutôt autonomes dans leur appropriation du numérique, soit parce qu’ils font partie des pionniers et premiers à adopter les nouveautés, soit parce qu’ils ont pu bénéficier d’une formation ou d’un accompagnement par des collègues dans le cadre de leur activité professionnelle, soit parce qu’ils disposent déjà d’un capital culturel et de compétences de niveau élevé qui facilitent leur adaptation au changement.

Le fossé numérique, qui caractérise les disparités d’accès et d’utilisation de l’informatique et de l’internet, prend selon les spécialistes 3 dimensions (voir le Rapport du CAS « Le fossé numérique en France » – 20 avril 2011) :

  • générationnel : en fonction de l’âge
  • social : selon le niveau de revenus
  • culturel : selon le niveau d’instruction

On compte parmi les publics prioritaires des actions de médiation numérique :

  • les personnes âgées de plus de 55 ans,
  • personnes à faible revenus (revenus mensuels du ménage inférieur à 1.500 €)
  • femmes au foyer avec pas ou peu d’expérience professionnelle
  • femmes seules avec enfants (famille monoparentale)
  • chômeurs de longue durée
  • professions peu qualifiées, travailleurs manuels
  • personnes ayant un faible niveau d’instruction (Brevet ou fin de collège et moins)
  • personnes en situation d’illettrisme
  • personnes handicapées

Des études récentes du groupe e-inclusion du laboratoire M@rsouin (Voir P. Plantard, Pour en finir avec la fracture numérique … », ed FYP, 2011), font apparaître le rôle important d’un facteur jusque là ignoré, l’isolement social. L’insertion d’une personne dans des réseaux de sociabilité, professionnels ou de proximité, constitue un capital de ressources et de compétences humaines que l’on peut mobiliser pour se faire aider. Les personnes isolées socialement, quelque soit leur niveau socio-culturel et leur âge, sont plus exposées que les autres aux différentes formes d’exclusion numérique (pas d’équipement, manque de compétences, peu d’intérêt et de motivation …).

L’évolution rapide des systèmes technologiques amène aussi à constater l’obsolescence des premières compétences numériques, acquises pour certains dans les années 90 ou avant (certains chercheurs parlent à ce propos de « fracture au second degré », voir P. Brotcorne & G. Valenduc, Construction des compétences numériques et réduction des inégalités, FTU Namur, Juin 2008). On peut ainsi savoir utiliser la bureautique sur un ordinateur, la messagerie électronique et le web, mais se sentir perdu avec les nouveaux services web 2.0, les réseaux sociaux, les smartphones, la musique et la vidéo dématérialisées …

Ainsi, tant que l’industrie du numérique connaîtra une phase d’expansion et de renouvellement rapide, on peut penser que les besoins de médiation numérique resteront élevés et diversifiés, et ce dans toutes les couches de la population.

Accompagner vers l’autonomie : apprendre à apprendre, plutôt que des procédures

De nombreux programmes d’initiation et de formation à l’informatique et à l’internet se contentent de développer des compétences instrumentales, en utilisant qui plus est une approche procédurale.

Il en résulte que les apprenants sont démunis au moindre changement d’interface à l’occasion d’une nouvelle version de logiciel, et éprouvent les plus grandes difficulté à s’adapter d’un système d’exploitation à un autre.

La médiation numérique doit permettre aux publics d’exercer un choix et un regard critique sur les systèmes technologiques qu’ils apprennent à utiliser. Pour cela, il est indispensable que les savoirs procéduraux soient complétés par la construction de compétences informationnelles (ex : capacité à trouver l’information recherchée sur le net ou dans une base de données) et de compétences stratégiques (ex : capacité à choix l’outil le mieux adapté pour effectuer une tâche précise ou obtenir un résultat particulier).

D’autre part, du fait de l’obsolescence rapide des savoir-faire liés aux technologies de l’information, les méthodes pédagogiques utilisées doivent privilégier le développement de compétences transversales et de méta-compétences cognitives, c’est à dire que l’accent doit être mis sur la capacité « d’apprendre à apprendre ».

Ce qui ne relève pas de la médiation numérique

  • Les actions de formation visant à développer des compétences professionnelles opérationnelles et la maîtrise pratiques de dispositifs technologiques spécifiquement utilisés dans le monde du travail.
  • Les démonstrations ou actions de promotion de services uniques ou technologies spécifiques, sans qu’il soit donné au public la possibilité de comparer plusieurs systèmes

La posture adaptée pour réussir la médiation numérique

La médiation numérique s’inscrit dans le champs de l’Education informelle

Médiation numérique et médiation culturelle ont un positionnement commun, comme le suggère cet extrait d’une définition de la médiation culturelle, et se situent toutes les deux dans le champs de l’éducation informelle.

Située à l’intersection du culturel, de l’éducation, de la formation continue et du loisir, la médiation culturelle s’inscrit dans le champ ce que l’on appelle l’éducation informelle. A la différence de l’éducation, au sens usuel du terme, l’éducation informelle n’est ni obligatoire, ni contrainte par un programme exhaustif à dispenser, ni par une validation des acquis à organiser. Ces visées sont tout à la fois éducatives (sensibilisation, initiation, approfondissement …), récréatives (loisir) et citoyennes (être acteur de la vie de la cité).

Jacky Beillerot, article « Médiation » in Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Nathan, 2000.

Créer ou développer un lien avec la technologie suppose la neutralité

Afin de mieux comprendre la posture du médiateur numérique, il est intéressant d’interroger le cadre générique de la médiation, dont le rôle est de faciliter la relation entre deux parties entretenant des relations distantes voire conflictuelles.

Les médiateurs [culturels] s’attachent à favoriser l’émergence de confrontations et de rencontres efficaces sur le plan artistique et culturel. Le problème n’est plus seulement de sensibiliser des populations à la culture mais de soutenir les mutations du champ culturel (crise des valeurs, conflit des références, coexistence culturelle, etc.). La fonction des médiateurs revient à relier, favoriser des passages ou des liaisons, surtout lorsque de heurts culturels sont prévisibles et qu’il faut renforcer la cohésion du groupe et lui forger une identité.

Christian Ruby in Emmanuel de Waresquiel, Dictionnaire des politiques culturelles, Larousse, CNRS, 2001.

Médiation judiciaire : [mettre en relation deux parties] « sur la base de règles et de moyens librement acceptés par elles, en vue soit de la prévention d’un différend ou de sa résolution, soit de l’établissement ou du rétablissement d’une relation sociale».

Médiation sociétale : « Action de mettre en relation deux termes afin de constituer ou de développer le lien social et de traiter ou prévenir d’éventuels conflits».

Briant et Y. Palau, La médiation, Paris, 1999.

Dans ce contexte, l’attitude idéale du médiateur consiste à ne formuler aucun jugement de valeur, qu’il soit positif ou négatif,sur les parties en présence, c’est à dire les publics et les technologies ou services. Cela suppose donc une neutralité vis à vis des technologies présentées.

Dans le cas de la médiation numérique, il s’agit d’aider les publics accueillis à créer ou développer un lien plus intime et décomplexé avec les technologies, produits ou services numériques susceptibles d’entrer dans leur univers domestique et leur environnement quotidien.

Ce que le médiateur numérique n’est pas

« Ne formuler aucun jugement de valeur », cela signifie que :

  • Le médiateur n’est pas un évangélisateur : il n’est pas là pour promouvoir un progrès technologique qui serait nécessairement synonyme de progrès social pour les personnes.
  • Le médiateur n’est pas un vendeur ou un marieur : il propose de mettre en relation, mais il n’a pas d’objectifs quantitatifs de « contrats d’adoption » à faire signer. Il a une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultats.
  • Le médiateur n’est pas un préconisateur : son rôle est d’informer et de former la personne afin qu’elle puisse faire des choix par elle-même et non pas de lui conseiller ce qui est le mieux pour elle.

Priorité à la relation

Nous reprenons à notre compte les propositions de Jean Caune à propos de la médiation culturelle (Voir Les conditions pour penser la notion de médiation culturelle en France, ces cinquante dernières années, in Culture pour tous, Actes du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008), en les adaptant à la médiation numérique, ce qui donne les recommandations suivantes aux personnes chargées d’organiser la médiation :

– Il faut « mettre l’accent sur la relation plutôt que sur l’objet » technologique.

  • La relation du médiateur avec le public : il ne s’agit pas de savoir si le médiateur est « aimable », « gentil »ou « pédagogue », mais s’il ou elle a le bon profil. L’idéal est de réduire la distance entre le médiateur et le public en terme de différentiel d’âge, de genre, de milieu socio-culturel, d’origine ethno-linguistique …
  • La relation du public avec l’institution : certains lieux (musée, bibliothèque, école … ) peuvent être intimidants pour des publics qui n’y ont jamais mis les pieds ou en ont un mauvais souvenir.
  • La relation du public avec la technologie : ne pas sous-estimer l’importance des peurs, sentiment d’infériorité, croyance à l’aspect magique de la technologie, …

– Il faut « s’interroger sur l’énonciation, plutôt que sur le contenu de l’énoncé ».

  • Prenons un exemple pour illustrer cette formulation un peu complexe.
  • Dans l’action d’un Espace public numérique, « privilégier le contenu » consisterait à proposer des initiations à Word ou OpenOffice, dont le contenu serait centré sur l’apprentissage des fonctionnalités des logiciels.
  • Questionner « l’énonciation », c’est à dire la façon dont le public va s’approprier et interpréter les savoirs pratiques ou théoriques proposés, revient à contextualiser les apprentissages dans le cadre d’usages sociaux, de projets personnels ou collectifs, en proposant d’accompagner les personnes à faire un album de photos de famille au format numérique, de s’initier à la recherche sur internet en préparant un voyage, etc

– Il faut « privilégier la réception plutôt que la diffusion ».

  • L’objectif de réduction de la fracture numérique qui a prévalu à la création des EPN avec des objectifs quantitatifs d’amélioration du taux de ménage équipés et connectés à internet, privilégie clairement la diffusion des technologies ; cette approche relève du développement économique ou local, mais pas de la médiation numérique.
  • Lorsqu’on se situe dans une perspective d’insertion sociale par le numérique (ou e-inclusion), la démarche privilégie nettement la qualité de la réception ; il s’agit là d’une véritable posture de médiation numérique.